En toute Amitié
A nos amis imaginaires
La rencontre amicale naît souvent à la fois d’un accident et d’une nécessité : c’est l’union par la débrouille sur la route entre Max et Lion dans L'Épouvantail, ou l’association des peines et du courage des mères dans Le Mirage de la vie. Dans le monde viril du ranch, le cow boy mélancolique et tendre de Ma Vache et moi trouve son seul réconfort auprès de Brown Eyes, et cet attachement sauve la bête de l’abattoir. Au sein du groupe, les amis se reconnaissent, et après n’avoir voulu faire qu’un (ou une), s’envolent vers leur propre vie (Frances Ha) ou leur vocation (Le Dortoir des anges), sous le regard bienveillant de celui (ou celle) qui accepte leur éloignement.
Ce sentiment de l’amitié : de la fraternité à la beauté de l'instant présent
Face à l'univocité longtemps fantasmée du sentiment amoureux, l’amitié brouille volontiers les pistes et les frontières : on résiste à l’attraction pour rester amis dans Sérénade à trois, ou on couche les uns avec les autres, entre amis, dans Kaboom. C’est aussi la circulation des sentiments et la recomposition des couples qui mènent le récit de L’Ami de mon amie. Le regard d’Ahmad, le héros de Où est la maison de mon ami ?, pétri d’humanité et d'inquiétude pour son camarade, nous plonge dans l’immensité du simple souci de l’autre. L’amitié se fond alors en acte de fraternité : comme aussi dans Un dessert pour Constance, où Mamadou et Bokolo tentent de gagner l’argent nécessaire au voyage de leur ami malade, ou l’alliance des camarades de cellule préparant leur évasion dans Le Trou. Dans L'Amitié, Alain Cavalier filme trois de ses amis de longue date. Les moments partagés sont faits d’anecdotes, de souvenirs et de repas. On entre dans la vie de ces trois amis comme on irait voir l’un des nôtres, apportant une bouteille ou un dessert, plein des années et de tous les moments graves et légers partagés avec lui. Cavalier filme ses amis avec la simplicité de l'affection de tous les jours, mais donne à voir la beauté et le mystère de cette relation de choix, comme un don au présent.
Rester amis : l’épreuve du temps
Le temps offre à l’amitié sa vérité : c’est la pérennité du lien entre Pomme et Suzanne, unies tout le long de leurs vies, par leurs choix et combats féministes dans L’une chante, l’autre pas, ou la mélancolie déchirante qui émane des retrouvailles entre Mark et Kurt dans Old Joy, devenus trop différents. La vie de chacun révèle l’attachement aux idéaux de sa jeunesse, et les retrouvailles scellent la communion retrouvée (Nous nous sommes tant aimés), ou bien l’écart (La Bête lumineuse), l’amertume et les désillusions. Enfin, le cinéma offre le pouvoir de dialoguer encore avec l’ami disparu, et de combler le manque, comme le fait Werner Herzog dans Ennemis intimes au sujet de son ami Klaus Kinski.
La révolution de l’amitié
Dans Céline et Julie vont en bateau, Julie, bibliothécaire, rencontre Céline, magicienne. De leur rencontre naît un récit gigogne, un mot entraînant une aventure, un jeu menant à une nouvelle porte du récit. Mais le film est aussi une histoire d’amitié derrière l’écran, et tout se mélange. Les comédiennes Juliet Berto et Dominique Labourier, co-scénaristes, fabriquent le film, et leur amitié le nourrit. L’amitié devient principe créatif et narratif, et illustre l’émulation collective propre à tout tournage rêvé. Les amitiés féminines au cinéma semblent ainsi renverser le patriarcat et créer une force subversive. Le coup de foudre amical entre Olga et la fragile Ruth dans L’Amie, finit par inquiéter le mari de cette dernière, dépossédé. L’union des trois amies de Wives est immédiatement aussi libération : l’école buissonnière devient acte de rébellion et affirmation de la joie d’être sœurs. Le personnage de Kaja, enceinte mais ne reculant devant aucun excès de cette journée particulière, rompt avec une décontraction lumineuse avec l’idée de l’assignation de la femme à son foyer.
Le temps de l’amitié c’est enfin celui de la cinéphilie, celui du spectateur, qui construit sa liste de films de chevet et y retrouve ces amis imaginaires qui jalonnent nos vies et qui nous regardent vieillir sans prendre une ride.
Cécile Cadoux


























