Toutes les vies de Kojin de Diako Yazdani / ARTICLE JOURNAL
Chaque année, des rédacteurs bénévoles du festival Entrevues proposent un article, un texte sur un film de la compétition.
Toutes les vies de Kojin, Diako Yazdani
Comment peut-on parler de révolution sexuelle à un peuple écartelé par cinq frontières, qui veut se battre pour son indépendance sans tomber dans le nationalisme, et qui pour repousser Daech a dû s’allier à ses ennemis ? Y aurait-il des libertés plus légitimes, des émancipations moins vitales que d’autres ?
Diako Yazdani est kurde et réfugié politique en France depuis presque dix ans. S’il lui est interdit de retourner en Iran où il est né, il peut se rendre dans la partie irakienne du Kurdistan. Les retrouvailles avec les siens sont un prétexte pour filmer et s’engager aux côtés de Kojin. Lui est kurde-irakien et il aime les hommes. Il a aussi compris qu’on pouvait être ni homme, ni femme et les deux à la fois : libre, tout simplement. À 22 ans, malgré la pression sociale, les arrestations, les menaces de mort, il ne veut plus se cacher. Et qui le pourrait, sans renoncer à soi ?
Portraits croisés, pour se coltiner au tabou de l’homosexualité, à la question du genre. Oser en parler, se parler.
D’abord le temps d’un pique-nique avec la famille du réalisateur : doucement faire tomber les préjugés, comme on pourra. À travers les références religieuses et culturelles, qui enseignent autant le rejet que la patience, trouver un regard, un chemin pour passer du jugement à la compassion, d’un questionnement timide à l’acceptation fragile d’une humanité plus multiple qu’on ne croit.
Et puis se frotter largement au pays. Exposer une société qui s’en tient souvent au mythe biblique et coranique de la destruction de Sodome et Gomorrhe par d’improbables flammes célestes. Interroger l’ignorance satisfaite, la brutalité et les hypocrisies. On trouve les mêmes ici et partout.
Montrer enfin la nuance, les lumières... Celles de Farouq Rafiq, universitaire et seul intellectuel kurde-irakien à revendiquer publiquement les thématiques LGBT+ : parce qu’elles ouvrent à l’humanisme multi-versel. Il lit le Coran mais aussi Spinoza, le poète syrien contemporain Adonis et les vers d’Abû Nuwâs, chantant l’amour, le vin et les garçons dans la Bagdad des Califes abbassides. Celles plus modestes, mais pareillement réjouissantes de celui qui tient tête au conformisme majoritaire, par respect des autres et de leurs désirs d’amour.
Le Monde comme il va, contait Voltaire : ses horreurs et ses merveilles, son insoluble complexité. Celle d’un imam exorciste et médicastre, qui condamne et tolère en même temps. Celle plus sincère d’une mère, qui tremble autant qu’elle encourage. Celle aussi des Européens, d’un droit d’asile ténu, qui accueille ou rejette, tout aussi hétéro-normatif qu’ailleurs. Pour vaincre les peurs et dépasser la colère : avancer, s’unir, espérer, tenter de... Parce que toute révolution corporelle est politique, et réciproquement.
Christophe Ottello